Léa Bigot est une artiste née à la Réunion d’où elle continue de puiser une inspiration constante. Émue par l’universalité du lien avec les éléments naturels, elle s’intéresse à la manière dont les objets du quotidien peuvent créer un lien émotionnel entre les individus. Entre art et design, elle sculpte pour l’espace domestique, acceptant l’ambiguïté de la création de pièces utiles mais uniques.
Lauréat de la Résidence Passages 2023
Lors de votre résidence d’art à Lagos vous avez collaboré avec deux artisans pour créer votre banc. Pouvez-vous décrire comment leur savoir-faire a influencé votre produit fini et ce que vous avez appris d’eux ?
LB – Pour créer cette pièce, j’ai travaillé avec Godwin Musa Maizonko et Linus Samson Zauso, deux jeunes artisans qui ont grandi dans des villages de la campagne nigériane. J’ai tout de suite compris à quel point l’argile était un élément omniprésent dans leur éducation et nous avons partagé combien nous appréciions de pouvoir créer intuitivement avec des matériaux récoltés en pleine nature. Ce sentiment mutuel a donné à Godwin et Linus l’occasion d’explorer leurs compétences en matière de modelage d’argile mais aussi de tressage de feuilles de palmier. C’est ainsi que le projet s’est transformé en un échange culturel précieux. Mon projet initial était de créer un banc sculptural de trois mètres de diamètre, mais nous avons fini par doubler sa taille avec des feuilles de palmier tressées pour accueillir une performance live de la danseuse Justine Chima et de la poète Ruth Mahogany. Ce projet montre pour moi comment des savoir-faire artisanaux et ancestraux, souvent sous-estimés, peuvent être valorisés dans une perspective d’échange social et culturel au sein de projets de design.
La poterie est une pratique qui existe dans plusieurs cultures, en quoi la manière nigériane diffère-t-elle de celle à laquelle vous êtes habitué ?
LB – La poterie est un artisanat qui existe dans toutes les régions du monde, mais chaque peuple a sa propre façon d’interagir avec lui, créant de nombreuses techniques et approches ancestrales. À l’échelle mondiale, nous pouvons constater que l’intérêt pour la poterie ancestrale décline en partie à cause du rythme auquel les objets manufacturés sont créés. Et si en Europe on constate un regain d’intérêt pour l’argile, il n’est pas motivé par les mêmes besoins que lorsqu’elle était pratiquée par les artisanes pour des usages quotidiens. On voit en effet comment designers et artistes, forts de leur propre culture de l’Art et de l’objet, se réapproprient la pratique et l’amènent dans un autre domaine, celui du Design. Je dirais donc que la principale différence entre ma manière de pratiquer l’argile et celle que j’ai observée et dont on m’a parlé au Nigeria réside en grande partie dans le domaine de l’usage des objets et dans la reconnaissance de leur statut sur le marché.
Comment votre innovation consistant à utiliser des techniques et des pratiques de poterie pour créer de nouvelles catégories de produits tels que des meubles au lieu de bols et de vases, a-t-elle été mise en œuvre dans votre processus avec des artisans locaux ? Avez-vous ressenti une certaine résistance ou une incompréhension ?
LB – Les usages traditionnels auxquels répondent les objets en terre cuite sont généralement des ustensiles de cuisine, des récipients à liquide, ou encore des statues décoratives tandis que ma pratique personnelle s’articule autour du mobilier. J’utilise donc la technique de la dalle qui me permet de créer des objets à plus grande échelle que ce que l’on retrouve traditionnellement dans le travail de la terre cuite. En travaillant avec les artisans Godwin Musa et Linus Samson, j’ai réalisé qu’ils ne connaissaient pas cette technique, mais ils l’ont immédiatement adoptée. Ils ont été très impressionnés par l’idée de construire des meubles en argile et je me souviens que Linus avait exprimé son souhait de fabriquer des tabourets pour sa famille dans son village. Je suis profondément convaincu que le pouvoir de libérer la créativité de l’argile et de l’artisanat en général peut être un grand catalyseur de rencontre avec différentes cultures pour la construction de nouveaux imaginaires.
À voir dans l’exposition « Together Design » by Lagos x Paris @lagosxparis
ouverte jusqu’au 2 mars 2024 à l’Alliance française de Lagos au Nigeria @af.lagos
Horaires d’ouverture :
Lundi au Vendredi : 10:00 à 17:00
Samedi : 10:00 à 14:00
Art Gallery, Alliance française de Lagos
9 Osborne Road, Ikoyi, Lagos – Nigeria